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25 mars 2011

Prix Abel 2011 décerné à l'Américain John Milnor

Pour ceux qui auraient la mémoire courte, j'ai déjà parlé plusieurs fois du Prix Abel.

Cette année, c'est l'Américain John Milnor, de l'Université de Stony Brook, qui est distingué pour « ses découvertes pionnières en topologie, géométrie et algèbre ».

Attention, ce qui suit est très technique...
Beaucoup de travaux de J. Milnor concernent la topologie et la géométrie des « variétés ». Une variété de dimension n est un objet mathématique où localement, au voisinage de chaque point, il peut être assimilé à un espace euclidien de dimension n (noté Rn). Ainsi, une surface ordinaire constitue une variété de dimension deux, plongée dans l'espace de dimension trois. Mais on peut aussi concevoir des variétés de dimension 2, 3 ou n sans qu'il y ait un espace de dimension supérieure où la variété est plongée. Une variété fondamentale est la sphère de dimension n (par exemple, la sphère unité de dimension trois est l'ensemble des points (x1, x2, x3, x4) dont les coordonnées vérifient x12 + x22 + x32 + x42 = 1 ; il n'y a donc que trois coordonnées indépendantes, et c'est pourquoi la dimension de la variété est trois). 
En 1956, en étudiant la sphère de dimension sept, J. Milnor a découvert un objet mathématique exotique : une variété qui est homéomorphe à la sphère de dimension sept, mais qui ne lui est pas difféomorphe, situation qui n'existait pas en dimension inférieure et qui était totalement inattendue. En termes moins techniques, cela signifie que cette variété peut être transformée continûment (c'est-à-dire sans déchirures, si l'on pouvait regarder cette transformation à partir d'un espace extérieur de dimension plus grande) en une sphère, mais que la transformation comporte nécessairement des changements brutaux (la transformation n'est pas différentiable). « La découverte de J. Milnor a ouvert un nouveau chapitre des mathématiques, la topologie différentielle en grande dimension », souligne Valentin Poenaru, mathématicien de l'Université Paris-Sud et spécialiste du domaine. Depuis, J. Milnor a montré avec le mathématicien français Michel Kervaire (décédé en 2007) que la sphère de dimension sept a 28 structures différentiables distinctes, que ce nombre est égal à 2 en dimension huit, à 8 en dimension neuf, à 6 en dimension dix, à 992 en dimension 11, etc. Cette suite de nombres est reliée à d'autres phénomènes topologiques ainsi qu'à certains domaines de la théorie des nombres.
Ces travaux et bien d'autres, qui portent sur la topologie algébrique (propriétés de la sphère, des nœuds...), sur l'algèbre (rythme de croissance d'un groupe engendré par concaténation d'un nombre fini d'éléments), sur la dynamique holomorphe (étude de l'itération d'applications définies sur les nombres complexes), etc., font de J. Milnor l'un des grands mathématiciens du XXe siècle. « C'est la seule personne qui a une très grande maîtrise de la topologie dans tous ses aspects : différentiel, algébrique, géométrique », estime V. Poenaru. Un prix Abel bien mérité.

Source : Maurice Mashaal, Pour la science

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