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23 mai 2011

Entretien avec X.Gabaix, Lauréat du Prix 2011 du meilleur jeune économiste

Merci à Marin pour cet article du Monde.fr où se mêlent maths et éco. 
Xavier Gabaix (Université de New York), est le lauréat du Prix 2011 du meilleur jeune économiste. A l'occasion de ce prix, remis le lundi 23 mai par Jean Tirole, président du conseil d'administration de l'Ecole d'économie de Toulouse, dans le cadre des salons Boffrand du Sénat, à Paris et en présence de Gérard Larcher, président du Sénat, "Le Monde Economie" lui ouvre ses colonnes afin qu'il explique le sens de ses recherches.
Xavier Gabaix, agrégé en mathématiques, vous avez néanmoins choisi la voie de l'économie. Pourquoi ?
J'ai découvert l'économie au laboratoire Delta du campus de Paris-Jourdan, pendant que je faisais des maths à l'Ecole normale supérieure. Ce fut pour moi une révélation, celle du "monde réel" en quelque sorte. Et je constatais qu'à des questions passionnantes - pourquoi la croissance ? pourquoi les crises ? - les réponses étaient pauvres et peu convaincantes.
La science économique est, au contraire de la physique par exemple, une discipline jeune, pour laquelle la frontière du savoir est assez proche du sens commun : il est donc possible d'y faire des avancées théoriques en utilisant un langage plus puissant que l'intuition pour décrire et expliquer, en l'occurrence, les mathématiques.
L'usage massif des mathématiques pour modéliser l'économie n'a-t-elle pourtant pas été souvent dénoncé comme trop réductrice pour expliquer les phénomènes économiques ?
La théorie économique a posé comme postulat la rationalité infinie des agents économique, et les mathématiques se prêtent en effet à la description d'une rationalité illimitée.
Mais mon objectif est d'introduire dans la théorie plus de "rationalité limitée", c'est-à-dire l'idée que les agents ne peuvent pas penser à toutes les conséquences de leurs actes, à tous les scénarios. Mais ce sont bien les mathématiques qui permettent de modéliser les effets de cette rationalité limitée.
Pour la théorie économique classique, les phénomènes économiques se distribuent selon une courbe de Gauss (en cloche), et la modélisation raisonne généralement à partir de moyennes, d'agrégats.
Or, la recherche a montré que, dans des domaines très variés, la distribution des objets, par exemple par rang de taille pour les villes ou par fréquence d'occurrence pour les mots d'un texte, obéit à des lois mathématiques comme les lois de Zipf, du nom du linguiste qui les a mises en évidence.
Comment s'appliquent de telles lois à la rationalité limitée des agents économiques ?
Dans un article de Nature paru en 2003 et écrit avec des physiciens, j'ai montré que la fréquence des baisses boursières atteignant certains seuils (10 %, 20 %, 30 %) obéissait à la même loi mathématique que la fréquence des séismes...
L'observation du volume de transactions boursières, de la taille des firmes, des évolutions de la croissance, permet également de déceler de telles lois de distribution.
Que peuvent tirer les agents, et en particulier la politique économique, de ces observations ?
L'idée qu'au sein d'une distribution d'événements, les plus extrêmes d'entre eux - notamment les décisions des sociétés les plus grandes, les transactions boursières les plus importantes, même limitées à une journée voire quelques heures - ont, contrairement à ce que postule la théorie de l'équilibre des marchés, un effet macroéconomique plus important que la moyenne des événements.
Il serait donc par exemple pertinent - mais je ne me risque pas à l'affirmer - de limiter la taille des entreprises ou de certains acteurs financiers.
Il n'est pas nécessaire d'expliquer les crises, les krachs, l'envolée de certaines rémunérations, par les "esprits animaux" (le comportement irrationnel), comme disait Keynes, ou les "chocs technologiques", mais plus simplement par l'effet de l'hétérogénéité des acteurs et l'influence de ceux d'entre eux qui, par leur dynamique propre, ont atteint une telle taille qu'ils pèsent sur l'ensemble du système.
Les causes des évolutions macroéconomiques sont à rechercher dans des règles, somme toute assez simples, des évolutions microéconomiques. Mon objectif n'est pas de révéler une rationalité cachée, mais de montrer que, malgré son irrationalité et ses dysfonctionnements, le système dans son ensemble est prévisible.
C'est ce qui permet de le comprendre, et de le réguler.
Propos recueillis par Antoine Reverchon

4 commentaires:

  1. Je n'ai jamais commenté sur algorythme, que je suis depuis bien longtemps. Je salue au passage l'auteur pour cette récréation mathématique, rafraichissante même quand on fait des mathématiques (liées à l'économie justement).

    Je me devais d'écrire pour faire part de ma sidération devant un bon paquet de bêtise idéologique qui n'aurait pas le meilleur effet sur une jeune génération déjà trop avide de faire de la finance avec des maths (en prépa déjà).

    SiM. Gabaix est certainement, de par son CV, un éminent mathématicien (je pencherai pour modélisateur), sa vision de l'économie est terriblement réductrice. Je fais une petite liste de remarques sur le texte:
    - "pourquoi la croissance?" comme si poser la question résolvait la question ontologique en passant. Et faisait du sujet un centre d'intérêt à la fois neutre et essentiel (un but en soi, moins contestable encore que le bonheur ou l'amour, c'est scientifique...).
    - "faire des avancées théoriques", cela est possible, mais on le sait maintenant fermement : pas sans hypothèse. Et celles-ci sont loin d'être seulement simplificatrices comme celles de la rationalité, mais encore une fois engagées axiologiquement. Comme penser que tout un chacun cherche à maximiser son profil.
    - La répartition gaussien (en cloche) n'est pas une hypothèse "standard" de l'économie. Elle est une hypothèse de base, très simple, en économétrie plutôt (l'analyse des données économique et des liens statistiques entre elles). Depuis déjà longtemps la communauté mathématique est allé sur des terrains plus complexes et amusants pour modéliser les fréquences des phénomènes sociaux.
    - "j'ai montré que la fréquence des baisses boursières [...] obéissait à la même loi mathématique que la fréquence des séismes". Il faut être clair : ce type de démonstration n'est pas du même niveau que celle d'un théorème, c'est pourquoi je ne suis pas sûr que ce soit vraiment de l''économie mathématique (qui essaie quand même, dans des cadres très spéciaux, de déduire des propriétés formelles d'objets précis). Ici, on a à faire à une démonstration statistique, c'est à dire le résultat d'un test en comparant des observations. Il n'y a rien qui est de l'ordre du démontage d'une mécanique qui s'avère commune. Il est en revanche vrai que c'est de l'observation, comme ne physique, qu'il faut partir pour dire des choses sensées sur le monde réel.

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  2. - "Il n'est pas nécessaire d'expliquer les crises, les krachs, l'envolée de certaines rémunérations, par les "esprits animaux", mais plus simplement par l'effet de l'hétérogénéité des acteurs et l'influence de ceux d'entre eux qui, par leur dynamique propre, ont atteint une telle taille qu'ils pèsent sur l'ensemble du système." Ici il y a deux choses à dire. La première c'est que "l'esprit animal" n'est pas particulièrement irrationnel, puisqu'on fait de remarquables exemples d'algorithmes de recherche pour des problèmes très complexes d'inspiration des fourmis, ou un professeur du collège de france prend les oiseaux comme exemple de son modèle d'équations en économie (rationnelle). La question de la rationalité est d'ailleurs contestée par tous, utilisée pour sa simplicité par beaucoup, grande fournisseuse de paradoxes. Non, l'esprit animal qui pourrait être en jeu, c'est l'idée spécifique que c'est un but qui nous meut, et que ce but est essentiellement lucratif. Et cela pourrait non seulement expliquer les crises, mais aussi les guerres et toute chose qui arrive à l'humanité, mais je tombe moi même dans l'idéologie opposée... La seconde chose, c'est que le phénomène dont parle l'auteur est une répartition statistique avec trop d'inégalités (à valeurs extrêmes). C'est un point de vue très spécifique, qui consiste à dire que les crises sont en quelque sorte inévitables et régulières, comme des explosions de volcan islandais. Plus intéressant mathématiquement, et qui justifierai mieux les krachs (selon d'autres économistes mathématiciens) est un vieux phénomène connu sous d'autre formes en mécanique céleste : la non-linéarité. C'est l'idée qu'une variation infime entraine une autre variation plus grande, qui a son tour en entraine une plus grande, et ainsi jusqu'à l'explosion de la stabilité. C'est toujours un domaine de recherche en mathématiques, et c'est effectivement intéressant en économie, qui s'est longtemps attachée aux équilibres sans voir qu'ils étaient bien fragiles. Mais...
    - "malgré son irrationalité et ses dysfonctionnements, le système dans son ensemble est prévisible." Là est un problème, la non-linéarité implique souvent la non-prévisibilité des systèmes parce qu'on ne voit pas très bien les (trop) petites variations initiales, qui provoquent des grands changements. C'est l'exemple de la théorie du Chaos : un battement d'aile d'un papillon à Tokyo créé un ouragant à la Nouvelle Orléans. C'est d'autant plus vrai en économie que l'humain est si complexe, et les influences si suprenantes que le système peut paraitre prévisible, jusqu'à ce qu'il ne le soit plus. Méfions nous des justifications a posteriori des phénomènes sociaux (crises, révolutions). Le mathématicien doit rester humble et clairvoyant sur le pouvoir de ses outils.
    - "Les causes des évolutions macroéconomiques sont à rechercher dans des règles, somme toute assez simples, des évolutions microéconomiques." Des règles du micro qui font le macro (le petit qui fait le grand), oui! Mais simple, non! Quand un économiste pourra prévoir et expliquer ma préférence pour un (inuntile) iphone sur un (inutile) blackberry, ou un mensonge, ou que je change d'un coup de boulangerie (parce que je trouve ma nouvelle boulangère plus charmante), ou un tas d'autres choses, je réviserai mon jugement. Ce n'est pas simple, c'est surtout simplifié par les économistes qui travaillent souvent sous l'hypothèses que nous tous souhaitons maximiser notre utilité, tout en acceptant les règles du jeu qui n'est souvent composé que de quelques dimensions (quantitatives) : ni l'humeur, les affects ou autres n'entrent en équation, et ce serait prétentieux et beaucoup trop compliqué.

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  3. Pour conclure, je dirai tout de même que l'économie recèle de problèmes fascinants pour le mathématicien. La finance également. Les sciences humaines en général (logique en neuroscience, théorie des réseaux ou des équations aux dérivées partielles en sociologie).

    Il est cependant important de garder un esprit critique, du recul sur l'application, de se cultiver sur les domaines connexes et ceux auquels on applique des outils mathématiques. Être mathématicien est peut être le plus beau métier du monde, il implique de manière assez implicite une importante responsabilité dans la technique, l'industrie et on ne le dit jamais, dans la crédulité de certains discours.
    Faire des mathématiques, pour ne pas être impressionné comme devant une idôle quand un économiste brandit une équation ou des chiffres mystérieux, voilà un travail d'auto-défense intellectuel que je recommande.

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  4. Alors, alors... J'exerce ma sagacité, et mon esprit scientifique...
    Quelque chose me dit que Medusa n'est pas une élève de collège ;-)

    Je publie régulièrement des articles trouvés dans de vrais journaux, et d'habitude peu de personnes les commentent (c'est souvent trop poussé pour des lecteurs de collège-lycée, et ça n'intéresse pas grand monde).
    Merci donc à Medusa pour cette longue analyse argumentée.

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