Le tricheur à l'as de carreau (de La Tour) |
Merci à Marin qui m'a fait suivre ce petit bijou d'humour de prof (d'histoire) trouvé sur un blog du Monde intitulé Alchimie du collège (je cours m'abonner à son flux RSS)
Ne parlons pas des arnaques grossières et peu glorieuses : prétendre qu'on a
malheureusement laissé son paquet de copies sur son bureau alors qu'on
ne les a pas corrigées, expliquer à sa classe qu'elle va aujourd'hui
travailler en autonomie car c'est une compétence essentielle (diantre,
j'ai utilisé le mot compétence) à acquérir alors que vous êtes juste
épuisée par la soirée festive de la veille, raconter des anecdotes sur
vos élèves de l'an dernier quand vous êtes stagiaire... Elles sont le
pendant des arnaques usuelles des élèves. Ces menus mensonges sont assez
véniels et infantiles (pour notre défense, nous, les enseignants, avons
passé presque toute notre vie à l'école). Elles font partie des
filouteries sans effet secondaire.
Mais il y en a d'autres. Éthiques et responsables. Ce sont les arnaques pédagogiques qui
permettent de surmonter avec style la dimension "contre-nature" de
l'enseignement.
L'escamoteur (Bosch) |
Eh oui, figurons-nous qu'un élève de 5ème aspire souvent
à tout autre chose que de consacrer deux heures de son temps à l'étude
de la féodalité ou des inégalités face à la santé. Ces fourberies
tiennent de la ruse (à ce titre, lire absolument Les ruses éducatives (ESF
2008) de Yves Guégan). Elles ne se font pas au détriment des élèves.
Elles ne jouent pas sur une quelconque crédulité. Elles permettent
simplement de dépasser les tensions, les incompréhensions, les
blocages, les préjugés, les rapports de force inhérents à
l'enseignement. C'est de l'ordre du fluidifiant pédagogique, c'est une
forme de souplesse aimable et matoise, de grâce qui permet de survoler
bosses et aspérités et d'arriver à son but. C'est, en somme, de
l'élégance éducative, du bel enseignement. Sans force, coercition ni
douleur. A l'Arsène Lupin.
Psautier Chludov |
L'une de mes préférées c'est de prétendre qu'un truc a priori rebutant est follement désirable. Avec aplomb. "Si
vous n'arrêtez pas de bavarder, il est hors de question que je vous
fasse le cours promis sur l'iconoclasme byzantin. Vous y perdriez
vraiment car c'est quelque chose d'incroyable, que peu de gens
connaissent et qui n'est même pas au programme, c'est dire si vous êtes
des privilégiés...Mais si vous ne vous en sentez pas dignes, je peux
vous dicter un vulgaire résumé passe-partout sur l'Empire byzantin... ". Là, la classe se tait, elle veut, elle croit vouloir tout savoir de l'iconoclasme
(je trouve ça bien d'entamer ainsi, l'air de rien, dès la 6ème la
question de la représentation possible ou non du divin... hum, hum) (ruse
dans la ruse). Dans le plus grand silence, je leur balance
la différence entre iconolâtrie et iconodoulie, la proskynèse, des
histoires d'images acheiropoïètes, les affres de l'empereur Constantin
Copronyme ("au nom de merde", il aurait chié dans les
fonts baptismaux lors de son baptême), je leur explique les enjeux et
débats de l'iconoclasme etc... Les élèves tiennent à noter les mots
compliqués (ils adorent ce type de mots qui deviennent ensuite notre
vocabulaires d'initiés, ça crée une belle complicité), se marrent,
posent des questions drôles ou profondes, se passionnent. C'est quand
même un sujet aride et ardu, mais ça passe.
Allégorie de la simulation (Lippi) |
Il y a, bien sûr, aussi, la technique inverse. L'anti-teasing. La
contre-pub. Annoncer que le cours va être mortellement chiant. Celui sur
les collectivités territoriales ou sur les institutions européennes est
parfait pour cela. Transformer l'ennui en sketch ("bon, nous n'avons
pas encore touché le fond, il nous reste encore, et j'en suis vraiment
désolée, pardon, à étudier...") permet de passer une heure assez
agréable et efficace.
Quand
il s'agit d'enseignement il est surtout question de méthode,
d'approche, d'étude de cas, d'exploitation du document, de progression
annuelle, de démarche, de marques d'autorité ou de protocoles. On fait
encore trop peu de cas du rôle de la ruse, sans doute parce qu'on
l'entend, à tort, comme une forme de manipulation. Elle représente
pourtant une ligne de transmission un peu sinueuse à l'élégance
bienveillante qui, dans ce monde de brutes, a la politesse de l'humour
et l'efficacité en arabesque. Gentleman professeur.
Effectivement, super article ! J'aime beaucoup la "ruse dans la ruse" :-)
RépondreSupprimerJ'adore !!!!
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