23 juillet 2024

Lecture : Journal d'un prof à la gomme, par Fred Leclerc

Merci à MamzelleCarnetO pour son bon plan lecture 😘 qui m'a permis de découvrir plusieurs titres récents ou à paraître, dont cette bande-dessinée dont la note de lecture a toute sa place ici.


édition La Boîte à Bulles, août 2024 

Il s'agit d'une BD autobiographique de Fred Leclerc, qui tourne la page de 25 années de carrière dans la pub. Il se tourne vers l'enseignement, par idéalisme, suite au choc de l'assassinat de Samuel Paty,

Le titre et la couverture annoncent assez clairement les tribulations de l'auteur dans le milieu scolaire et le parcours initiatique ubuesque d'un tout frais PVP (Professeur de la Ville de Paris), spécialité arts plastiques, en primaire. 

Rien n'est épargné au héros dans cet univers hostile : les emplois du temps impossibles, le jargon EducNat et ses mille acronymes, la formation qui "vous apprend à nager pendant que vous vous noyez",  les élèves en situation de handicap (sans formation pour lui) et ceux dans une situation sociale ou familiale impossible. Les jours s’égrènent et les illusions de Fred-Don Quichotte tombent. Sur sa route, Fred doit composer avec ses co-stagiaires, sa directrice dont les yeux lancent des éclairs, sa tutrice expérimentée et bienveillante, ainsi que ses formateurs plus ou moins pertinents. Au fil des pages, Fred oscille entre découragement, motivation, questionnements, rire jaune et lueurs d'espoir.
Du point de vue graphique, une palette de peinture enfantine se vide au fil des chapitres (allégorie de l'énergie de l'apprenti-prof ?). J'ai trouvé original et chouette le choix d'une seule couleur pour toutes les planches d'un même chapitre, en plus du noir et blanc.

Moi-même enseignante en collège-lycée depuis 19 ans, cette BD m'a touchée par son humanité et l'humilité des remises en question d'un débutant. Je me suis souvent surprise à penser "C'est tellement ça, l'école aujourd'hui" et j'ai compati, même si mon parcours est très différent de celui de Fred. 

Enfin, c'est une BD pleine d'humour noir qui fait sourire à de nombreuses reprises. J'avais hâte de découvrir si Fred avait "trouvé sa place" en tant qu'enseignant.

Merci à #LaBoiteaBulles pour cette lecture du #Journaldunprofàlagomme via #NetGalleyFrance. Cette note de lecture n'engage que moi.

Les images sont issues de la BD et disponibles sur le site de l'éditeur dans une interview

8 mars 2024

Sciences au féminin (v7) : ressources, gestes professionnels et projets

Dernière mise à jour de l'article et des PDF en bas de l'article : 17 mars 2024
 

Dans les thématiques professionnelles qui me tiennent à cœur, il y a "les filles et les maths". Je trouve que nos élèves filles énoncent très jeunes qu'il y a des barrières entre elles et les maths. Cette idée ne vient pas de nulle part, elle s'insinue sournoisement dans leurs têtes, au travers de leur vécu à l'école (le discours des PE conscient ou inconscient) et souvent à la maison. Combien de mères ai-je entendu prononcer en rendez-vous, souvent devant leur enfant : "On est nulles en maths de mère en fille, dans la famille... Les maths, c'est pour son père" ?

Le phénomène est généralisable aux sciences dites "dures" comme la physique ou l'informatique.

S'informer et se former sur les stéréotypes de genre liés aux sciences quand on est parent, prof, PE ou perdir :

Des colloques Femmes et Sciences :

J'ai suivi ces trois interventions et les ai trouvées passionnantes ! Ce type de conférence dresse généralement un état des lieux historique et sociologique (quelle place pour la femme dans la société et dans la classe ?), décrit les stéréotypes de genre/de sexe, analyse les pratiques des enseignants (appréciations, prise de parole, conseils d'orientation), et scrute les stéréotypes dans les jouets ou les manuels scolaires.

J'ai participé aussi à l'atelier sur ce thème lors du Salon des mathématiques 2021 en ligne et j'ai été surprise et déçue qu'il y ait seulement une poignée d'enseignants inscrits ; c'est un thème qui mobilise peu chez les profs... Je m'en étais également rendue compte en mars 2021, lorsque j'ai été invitée par nos IPR à être jurée des entretiens professionnels des lauréats de concours 2020. Mme Catherine Huet, IA-IPR de Versailles, qui était en binôme avec moi, m'a encouragée à aborder ce thème en fin d'entretien avec les collègues-stagiaires, au sein de la grande thématique "valeurs de la République / égalité à l'école". Je me suis dit qu'il faudrait que tous les enseignants aient au moins un module de sensibilisation à ce thème de l'orientation des filles vers les sciences, et la lutte contre les stéréotypes dans ce domaine... et pas seulement les quelques enseignantEs qui s'y intéressent déjà, et pas seulement les profs de lycée car c'est bien tard pour rattraper les choses... 

Pour les parents, il y a un livret conçu par Femmes et mathématiques avec Animath.

Pour les profs et les parents, il y a d'excellents podcasts, notamment : Sophie Germain Project, par la journaliste et autrice Sylvie Dodeller, et La boss des maths par Texas Instruments, avec des invitées très intéressantes dans les deux cas.

 Voilà pour la théorie.

Concrètement quelles actions dans mes classes et mon établissement ?

  • Je suis particulièrement vigilante à la prise de parole et au passage au tableau :
Je tiens les comptes mentalement dans les prises de parole, pour qu'on s'approche de la parité filles-garçons. Je m'astreins à ne pas donner tout de suite la parole aux élèves les plus prompts à lever la main, sinon ce sont les garçons qui l'emportent, statistiquement : je "patiente" pour que davantage de mains se lèvent, notamment chez les filles. Je fais baisser les mains quand j'ai donné la parole à quelqu'un (garçon ou fille) pour baisser le niveau de pression du groupe et rassurer celui ou celle qui va parler. J'essaye de ne pas suivre le cliché "les questions de cours pour les filles, les questions créatives pour les garçons". J'utilise beaucoup l'ardoise, qui "oblige" tout le monde à répondre, fille ou garçon.
  • Je fais attention aux appréciations dans les bulletins
Généralement, on trouve les filles "sérieuses" et on demande aux garçons d'exploiter "leur potentiel". J'essaye d'expliciter de plus en plus que l'élève fille aussi, a un bon potentiel scientifique ou des qualités utiles en sciences.
  • Falsification du stéréotype de genre en évaluation
Juste avant la passation de la Course aux Nombres, j'annonce aux élèves "Les filles et les garçons réussissent aussi bien les uns que les autres ce type d'épreuve". Je prononce cette phrase indépendamment de toute observation statistique des résultats de mes classes à la Course aux Nombres. Le simple fait de le dire va améliorer la confiance des filles et les faire mieux performer. J'avais retenu de diverses conférences que cela ne nuit pas aux garçons, mais Viviane Pons me fait douter en partageant des nouvelles recherches)
  • Des Sacamaths pour faire connaître des femmes de sciences (depuis 2020)
Dans mes classes de 6è, des sacs circulent avec des livres et des jeux. Les loisirs sont un support idéal pour présenter des modèles féminins totalement inconnus des élèves : Sophie Germain, Émilie du Châtelet, Ada Lovelace ou Katherine Johnson par exemple. Certains livres présentent l'effet Matilda, c'est-à-dire la spoliation d'une découverte d'une femme de science par son mentor. 
Ces projets menés en 4è développent la culture scientifique générale de tous les élèves, garçons et filles. Mais j'ai composé la sélection des albums en Anglais et des Bandes Dessinées avec une grosse arrière-pensée : il y a des livres permettant de découvrir Maryam Mirzakhani, Hypatie, Florence Nightingale, Emmy Noether ou Sophie Kowalevski => Les retours des élèves filles sont très clairs : elles sont admiratives de ces  femmes scientifiques, elles sont curieuses d'en savoir plus, elles aiment voir des femmes qui se battent pour leurs idées, qui se rebellent, qui s'enthousiasment pour une science. L'adolescence est donc un très bon moment pour sensibiliser nos jeunes, et pas seulement les filles ! 
 
NB : Sur les projets Sacamaths, Bibliomaths en Anglais et Sciences en bulles, il y a un bémol : c'est "l'effet Marie Curie". Si on ne présente que des femmes scientifiques exceptionnelles, on risque d'être contre-productif en laissant croire qu'il n'est pas possible d'être un femme normale ET une scientifique. D'où l'importance de sélectionner aussi des ouvrages présentant des femmes actives ou des doctorantes contemporaines avec lesquelles une identification des jeunes filles est possible. C'est le cas par exemple des scientifiques de la BD les Décodeuses du numérique, des chercheuses de La cerise dans le labo, des thésardes des opus Sciences en bulles (publiés à chaque Fête de la science) ou de Ma thèse en deux planches. Ces ouvrages mettent aussi beaucoup en avant le domaine scientifique, et pas seulement la personne et son parcours de vie.
 
  • Animation d'une rubrique "EfferveSciences" sur l'ENT du lycée (depuis 2022)
 C'est l'occasion de proposer de l'actu générale (podcasts, conférences, expos, films, remises de prix scientifiques, etc.) et de proposer les inscriptions à des événements non-mixtes comme "Filles et maths / info : une équation lumineuse", ou encore les RJMI Rendez-vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes et les Speeds-meetings métiers de Femmes&Maths et Animath. Ce sont des formidables leviers pour désarmer les stéréotypes chez les filles elles-mêmes : conférences scientifiques, ateliers sur les stéréotypes, pièce de théâtre dont on modifie la fin, rencontres avec des doctorantes ou des chercheuses, recherche collective de problèmes ouverts... => Ces programmes recueillent l'adhésion des jeunes filles.
 

  • Une double expo interactive dans nos CDI collège et lycée (2023)
Promouvoir les femmes scientifiques d'hier et d'aujourd'hui ; j'en parle dans cet article.
  • Des temps-forts Elles bougent pour l'orientation (2024)
Tables rondes animés par des ingénieures bénévoles ; j'en parle dans cet article.
  • Exposition temporaire pour renommer les couloirs et les escaliers (2024)
Des élèves volontaires de 4è, 1ère et terminale ont choisi une femme scientifique disparue ou contemporaine. Elles ont mené des recherches sur elle puis réalisé une affiche ; j'ai édité des "plaques" parisiennes pour l'affichage dans nos lieux de circulation (photos à venir). Le second effet Kiss cool, c'est la super réaction de Claire Mathieu qui a été touchée par notre démarche. Elle a proposé une visio aux élèves pour répondre à leurs questions (c'est mardi !).
 

  • Opération coquelicot le 8 mars (2023 et 2024)
À l'invitation de l'association Femmes & Maths, "portons du rouge pour rendre visibles les filles et les femmes de sciences". L'an dernier, je l'ai fait seulement dans mes classes, et cette année, nous l'avons proposé à tout le collège et le lycée :

Quelles ressources (sites, biblio, vidéos, podcasts) pour explorer ce thème ?

Ressources institutionnelles :
Banque de ressources "Sciences au féminin" que j'ai compilées dans trois documents :

Si vous placez la souris dans le coin supérieur droit des PDF, vous avez la possibilité de l'ouvrir dans une nouvelle fenêtre et de le télécharger.

 



6 mars 2024

Very math trip : l'effet waooh !

Dimanche dernier, j'ai eu la chance d'assister à l'excellent one man show one math show Very Math Trip écrit et joué par Manu Houdart et mis en scène par Thomas Le Douarec. Le spectacle se joue tous les dimanches à 19 h au Lucernaire (Paris 6è) , jusqu'à début juin.

NB : Je lis dans la newsletter de la Maison Poincaré cette bonne affaire : 

Offre partenaire : tarif partenaire à 20€ au lieu de 30€ pour toutes les représentations jusqu’au 2 juin 2024, dans la limite des places disponibles.
Réservation ici avec le code promotionnel "POINCARE" à renseigner après avoir sélectionné "web / plein tarif". Si le code promotionnel ne peut être appliqué, cela veut dire que le quota est atteint.


Ce seul en scène d'une heure vingt environ nous accueille en chanson, avec la bande-son des collègues-copains twittos Stéphane et Adrien de la chaîne On fait des maths ?. Ils se sont fait connaître avec des reprises musicales mathématiques et parodiques de plusieurs tubes : "C'est les maths que j'préfère" (c'est la ouate), "La tristitude mathématique", "Math collection" (rock collection). Leur chaîne propose des maths pour la famille, des promenades mathématiques et des shorts en partenariat avec Mathador, le célèbre jeu de calcul mental qui fête ses 25 ans cette année.


Manu Houdart nous emmène alors dans une promenade mathématique, intelligente, dynamique et drôle. Les "traumathisés" se réconcilieront vite avec cette belle discipline et feront chauffer leurs neurones. Je ne dévoilerai pas ici tout le contenu du spectacle, mais vous rencontrerez sur scène un Grec bodybuildé, des fractions à boire, le côté obscur de la force, un superhéros, des tours de magie avec ou sans trucs, des médaillés non olympiques, un bulletin scolaire belge, des performances de mémorisation, une myriade de décimales de Pi... 

Une chose est sûre, vous allez participer et vous Gausser ! Un spectacle familial qui s'appréciera sans doute davantage à partir de la classe de 4è, pour saisir les jeux de mots, les allusions aux programmes etc.

J'ai été particulièrement admirative de la manière dont Manu s'adapte aux réponses fournies par le public aux défis qu'il lance. Il y a toujours des mauvaises réponses qui sortent (celles qui sont intuitives, attendues, mais fausses), mais aussi des réponses proches de la vérité, voire exactes. Dans la salle ce dimanche, deux lycéens avaient même sorti une calculatrice pour répondre à l'un des défis. Manu recueille les réponses avec un enthousiasme égal, fait douter ceux qui ont la vérité, prêche le faux, nous taquine, révèle le vrai et rend avec le sourire les lauriers à ceux qui les ont mérités, sans écraser ceux qui se sont trompés.

J'ai eu la chance d'être présente le soir où Manu Houdart échangeait avec le public à l'issue de la représentation ; merci pour ces échanges instructifs ! Nous avons évoqué entre autres le lien entre l'art du spectacle et l'enseignement, sur la diversité des spectacles au Festival d'Avignon. Nous avons même parlé littérature (Littéramath), fausses anecdotes scientifiques (livre Et la pomme ne tombas pas sur la tête de Newton, d'Antoine Houlou-Garcia).

L'effet Waooh, ce n'est pas seulement un spectacle...

J'avais découvert Manu Houdart à travers les réseaux sociaux, sur X-Twitter notamment et sur sa chaîne YouTube, où il a publié de nombreuses vidéos sur les effets Waooh des maths pendant la période Covid et post-confinement. On y trouve notamment des capsules de miscellanées de culture générale ou de cryptographie, des portraits de mathématiciennes (Emmy Noether, Maria Gaetana Agnesi etc.), des probas et des stats avec un angle pratique (loterie, tirages au sort, tests covid etc.), et plus encore. J'avais bien aimé sa collaboration avec un autre "montreur de mathématiques" : Mickaël Launay et Manu Houdart avaient mesuré la Tour Eiffel de manière expérimentale en restant au sol, et en utilisant le théorème de Thalès.

 
 
Si vous n'êtes pas proche de Paris, vous pouvez aussi vous procurer le livre Very math trip qui reprend quelques éléments du spectacle mais aussi des chapitres inédits. Il a toute sa place dans le CDI d'un lycée ou une bibliothèque familiale.
 

 

Un grand merci Manu pour cette très bonne soirée au Lucernaire !